DH : Néanmoins, sommes-nous bien dans la logique d’une « stratégie publique », lisible pour tous ?
La lisibilité de la politique publique en matière de santé numérique a longtemps été le point faible des politiques nationales. Elle reste encore un point de relative fragilité. cependant, depuis 10 ans, les choses ont réellement progressé. Des programmes se sont structurés tels que le Programme Hôpital Numérique ou encore le programme Territoire de Soins Numérique. Des structures ad hoc se sont constituées telles que l’ASIP Santé ou la DSSIS et sont montées en puissance... Dans les régions, les territoires ont mis en œuvre leurs politiques régionales de santé numé- rique avec des groupements de maîtrise d’ouvrage régionales. Des référentiels communs ont été établis, publiés, partagés. Les grandes briques d’une politique nationale cohérente ont été posées.
Reste que, pour les acteurs, tout ça peut encore manquer de visibilité. A cela, je vois deux raisons majeures. la première, c’est qu’on est encore au premier palier de maturité de la santé numérique. D’abord, on a lancé beaucoup de programmes, mais les « usages », – c’est-à-dire l’utilisation effective et en routine par les utilisateurs – restent encore faible pour le moment.
Ainsi le Programme Hôpital Numérique, lancé il y a 5 ans, a un effet structurant important, mais le nombre d’hôpitaux, de professionnels hospitaliers et d’industriels à en avoir tiré tout le bénéfice n’est pas encore à la hauteur des espérances initiales. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de systèmes complexes, à très forte inertie. Il faut du temps, beaucoup de temps pour transformer des organisations et des systèmes d’information. Nous sommes dans une période où l’on ne voit pas encore concrètement, dans les pratiques quotidiennes, dans les organisations, les fruits concrets de tout ce qui a été mis en œuvre depuis 4 à 5 ans. la période qui vient sera décisive. Il s’agira de traduire toutes les composantes de la politique numérique en usage. Dans les 5 ans qui viennent, un professionnel de santé de lozère devra pouvoir – de manière quotidienne et sans difficulté – accéder au DMP de son patient même si ce dernier est hospitalisé au CHU de Montpellier, recevoir de l’hôpital les lettres de liaison et du laboratoire les résultats des analyses biologiques prescrite à ses patients dans un format structuré lui en permettant l’exploitation facile sur son ordinateur, accéder à des services de télémédecine en cas de besoin, participer avec des outils dématérialisés au parcours de santé de ses patients, etc.
DH : Encore cinq ans pour arriver à stabiliser...
En déploiement et en usage généralisé, oui. c’est le temps nécessaire. Le problème n’est pas technique. la technologie existe, les innovations fleurissent, même si elles sont besoin d’un modèle économique viable qui soit accessible pour tous les acteurs de santé comme pour les industriels, mais aussi qui soit supportable pour la collectivité nationale. La Sécurité sociale ne peut pas financer toutes les innovations technologiques au service du secteur de santé.
L'informatique hospitalière doit dépasser le cap de la première décennie du XXIème siècle, celle de l’informatique de gestion. Les industriels doivent avoir absorbé tous les référentiels et tous les standards nécessaires. Ils doivent pouvoir offrir des produits utilisables, bon marché, efficaces à l’ensemble des acteurs de santé et aux établisse- ments. En termes d’usages, cela doit se concrétiser dans les cinq ans qui viennent. Faute de quoi, la France prendra un retard considérable par rapport à ses voisins.
DH : Par rapport aux autres pays industriels, sommes-nous en avance ou en retard ?
Nous sommes en avance dans certains compartiments et en retard sur d’autres. Tous les pays rencontrent des difficultés pour accélérer la transformation numérique de leur système de santé. En fonction des différents pays, la situation est très variable. Bien souvent, les pays qui ont réussi une percée dans un secteur, en termes d’usage et d’organisation, sont des pays qui n’avaient pas d’autres choix ! Pour les pays enneigés, désertiques et/ou très vastes (on pense à l’Australie) télémédecine et communication électronique étaient des passages obligés. Des pays de la taille d’une grande région française – Danemark, Suède, catalogne, Andalousie – ont réussi à créer des services bien intégrés mais à petite taille.
DH : Interopérabilité des systèmes d’information, élaboration d’une politique générale de sécurité de données de santé, mise en place des espaces numériques régionaux de santé, système de messageries sécurisées... Ces fondements ne sont-ils que les pierres d’une cathédrale dont la clé de voûte serait le Dossier Médical Personnel ?
Il n’y a pas de clé de voûte. Mais un socle de base sans lequel il ne peut pas y avoir de santé numérique. C’est le socle où tout va se bâtir et où des services innovants à valeur ajoutée vont pouvoir se créer facilement. Ceci avec un modèle économique dans lequel tout le monde parlera le même langage, respectera les mêmes règles, acceptera les mêmes contraintes. Mais il est vrai que le DMP a joué un rôle à la fois de révélateur des rigidités et cloisonnement du système de santé, et de catalyseur, d’accélérateur de changement, en permettant de poser les cadres d’interopérabilité et de sécurité nécessaires, et de faire évoluer les mentalités en matière de partage numérique des données de santé.
DH : Les subventions que reçoit l’ASIP Santé « couvrent » 100% de ses dépenses ou peu s’en faut. Quels sont les généreux « mécènes » ? Etat, Sécurité Sociale, sociétés privées ? Et dans quelles proportions ?
L'ASIP Santé est un opérateur public. Son rôle est de développer la e-santé parce qu’on juge qu’elle va être créatrice de valeur pour notre système de santé, d’améliorer le système de santé, de le rendre plus efficient, moins cloisonné, plus coopérant, mieux organisé et donc, in fine, de meilleure qualité. cela suppose un investissement public de base, qui se traduit notamment par le budget de l’ASIP Santé, et repose sur un financement public intégral supporté sur l’enveloppe ONDAM. cet investissement créé les conditions de la modernisation de notre système de santé. le budget de l’ASIP Santé est de l’ordre de 85 millions d’euros.